Chapitre 17
Il devenait de plus en plus difficile de ne pas informe Brian de ce qui se passait. Il avait réussi à réduire ses questions au minimum jusqu’à présent mais, à la moindre ouverture, il en profiterait. Ce n’était pas un avocat d’audience mais je le soupçonnais d’en avoir les compétences. Quand il commence à poser des questions, il a tendance à en apprendre beaucoup plus que ce qu’on veut révéler.
Je ne tenais donc vraiment pas à rencontrer le docteur Neely dans mon appartement. Je ne voyais pas quelle explication je pourrais donner à Brian qui satisfasse sa curiosité. Et comment l’empêcherions-nous d’entendre ce qu’il n’avait pas besoin de savoir ? À moins de le ligoter dans le placard. J’avais déjà menacé Andy et Brian de violence. Il était hors de question que cela se reproduise. Plus jamais.
Après ma conversation avec Andy et Adam, je me retirai dans ma chambre. Puis je m’enfermai dans la penderie avec mon téléphone : traitez-moi de paranoïaque. Comme je n’avais pas les coordonnées exactes du docteur Neely, j’appelai le Cercle de guérison. J’eus de la chance, il se trouvait dans son bureau et pouvait prendre mon appel.
— Morgane ! s’exclama-t-il après que je me fus annoncée. Quelle agréable surprise !
— J’imagine, marmonnai-je. Il faut qu’on ait une petite discussion, toi et moi.
— Je suis toujours ravi de discuter avec toi. Tu es comme une sœur pour moi, tu le sais.
— Pourquoi tu n’irais pas te faire fou…, commençai-je avant de me reprendre au dernier moment.
Raphael, comme Adam, prenait son pied à me mettre hors de moi. Je ne tenais pas à lui offrir ce plaisir.
Il gloussa.
— Lugh et toi allez bien ensemble. Je peux le pousser à m’insulter en une ou deux phrases.
— Et c’est ton seul but dans la vie ?
— Disons que j’ai plus de chances de réussite dans ce domaine qu’en essayant de gagner son approbation.
J’éprouvai un inhabituel accès de pitié. Je savais ce que c’était de perdre tout espoir de gagner l’approbation de votre famille. Était-il un salaud parce qu’il ne parvenait pas à gagner cette approbation ou bien était-ce le problème inverse ?
Je me débarrassai de ma pitié. Ouais, cette histoire de famille à problèmes avait fait de moi une garce ; cela ne m’avait pas pour autant poussée à torturer d’innocents témoins.
— Est-ce que tu regrettes ne serait-ce que légèrement ce que tu as fait à Andy et à Brian ?
Je m’attendais à une réponse désinvolte mais il sembla réfléchir à la question.
— Pas vraiment, dit-il enfin. Si j’étais humain, je m’en voudrais sûrement, mais je suis un démon. J’ai fait ce que j’avais à faire dans certaines circonstances. Il se peut que je ne sois pas aussi noble que mon saint frère mais je ne suis pas non plus un monstre. Rien de tout cela n’était personnel.
— Tout comme ton désir actuel de tuer Andy n’a rien de personnel ?
— Ne le lui dis pas, mais je n’ai aucun désir de le tuer. On m’a ordonné de le faire mais il y a des avantages à être le frère du roi. Personne ne s’en prendra à moi si je n’y arrive pas. Je n’ai rien à gagner en le tuant et j’ai confiance, il ne vous dira rien de ce que je ne tiens pas à ce que vous sachiez.
Seulement, il ne savait pas que j’avais livré mon propre frère à Adam. Peut-être devrais-je également examiner d’un peu plus près ma boussole morale avant de tirer à vue sur Raphael.
— Alors de quoi faut-il que l’on parle ? demanda Raphael.
— Ce n’est pas une discussion que nous devons avoir au téléphone.
— Très bien. Je passe à ton appartement plus tard.
— Non, peu importe ce que tu dis, je ne te fais pas confiance à propos d’Andy.
— Tu me piques au vif.
— Si seulement.
Nous avions définitivement besoin d’avoir cette conversation en privé. Et je connaissais un endroit parfait, même si je n’étais pas très pressée d’y remettre les pieds.
— Adam White joue les gardes du corps le temps que der Jäger est à mes trousses.
— Ce ne peut être une solution permanente. Lugh et toi allez devoir faire quelque chose à son sujet. Et je ne peux pas vous aider sans trahir ma couverture.
Je savais exactement ce qu’il entendait par là, mais je ne souhaitais pas y réfléchir maintenant. Si je pouvais attirer der Jäger dans un piège quelconque puis laisser Lugh prendre le contrôle, nous aurions probablement une chance, ne serait-ce que grâce à l’effet de surprise. Mais ce plan comportait trop de lacunes.
— Laisse-moi m’inquiéter du Jäger pour le moment. Ce n’est pas de ça dont je souhaite te parler. Retrouve-moi chez Adam à… (je consultai ma montre) 21 heures.
— S’il est question de trahir ma couverture… Adam et moi ne sommes pas du même bord dans ce petit conflit, au cas où tu l’aurais oublié. Je ne peux pas me pointer chez lui pour tailler une bavette.
— Tu trouveras une excuse.
— J’aurais une excuse si Andy se trouvait là-bas. Pour être honnête, je ne peux pas l’atteindre chez toi. Il faudrait que je passe le poste de sécurité et les trois caméras de surveillance dans l’ascenseur. Sans compter qu’en essayant de le tuer, je peux faire du bruit et attirer l’attention. Si je l’attaquais chez Adam, le seul témoin serait Adam et je peux le maîtriser. Cela me donnerait une sacrée bonne excuse.
Ouais et cela lui donnerait une sacrée bonne occasion de s’en prendre à Andy si c’était vraiment ce qu’il voulait.
— Je vois que tu n’as pas saisi mon allusion subtile : je ne veux pas te voir traîner dans les parages d’Andy. C’est pour ça que je ne veux pas que tu viennes chez moi.
— Oui, j’ai compris. Je l’ignore juste. Je te donne ma parole que je ne ferai pas de mal à ton frère.
Il nous était toujours possible d’imaginer une bonne raison de faire capoter mon faux plan.
Est-ce que je croyais en la parole de Raphael ? Bien sûr que non ! Mais tant que nous étions préparés à son attaque, nous devions être en mesure de protéger Andy. Je l’espérais. Je n’avais pas hâte de connaître l’opinion d’Andy quand il apprendrait que je l’avais proposé comme appât.
— Très bien, dis-je. Je te verrai chez Adam à 21 heures.
— J’ai hâte.
— Tu es bien le seul.
Je ne tenais pas à laisser Brian seul dans mon appartement. Nous allions donc devoir le traîner avec nous malgré mon désir de le garder aussi éloigné que possible de Raphael. Je lui annonçai que nous allions interroger ce que Adam appellerait une « personne d’intérêt ». Je l’informai également qu’il ne pourrait assister à cet entretien privé, même si nous l’emmenions avec nous. Je l’observai débattre avec lui-même pour savoir s’il devait insister pour obtenir des réponses. Manifestement, il décida d’attendre son heure. À son regard, je compris que le temps des comptes approchait.
Se rendre chez Adam fut une expérience extrêmement pénible, pas à cause de ce qui se passa, mais à cause de tout ce qui aurait pu se passer. Il suffisait d’un simple contact de la peau avec der Jäger pour qu’il se transfère de son hôte actuel à Brian, à Andy ou à Dominic. Adam et moi devions nous assurer que personne ne nous approche.
Adam quitta l’appartement en premier pour aller chercher sa voiture banalisée qu’il gara juste devant les portes de l’ascenseur du garage en nous attendant. Nous lui laissâmes cinq minutes d’avance. Puis les garçons et moi nous entassâmes dans l’ascenseur. Ils se tenaient tous dans mon dos et je gardai la main sur le Taser dissimulé dans ma poche de veste. Ma prise était encore sacrément maladroite avec mes deux doigts bandés, mais je serais capable de tirer si ma vie en dépendait. Dominic avait l’autre Taser qu’il dissimulait sans conviction dans son dos. La tension dans la cabine était palpable. Je remerciai Dieu que l’ascenseur ne se soit pas arrêté pas en cours de route pour laisser monter un autre passager.
Quand les portes s’ouvrirent sur le garage, je poussai un soupir de soulagement que je n’avais pas pris conscience d’avoir retenu. Comme promis, Adam nous attendait, le moteur tournant au ralenti et toutes les portières ouvertes.
— La voie est dégagée, lança-t-il en nous regardant à peine, à l’affût du moindre piéton suspect.
Je finis à l’arrière de la voiture, coincée entre Andy et Brian. C’était une voiture assez spacieuse mais aucun de nous n’était vraiment petit. Andy me battait toujours froid mais Brian passa son bras autour de mes épaules, prétendant que c’était pour se mettre à l’aise, mais je ne pense pas qu’il s’attendait que je le croie. Tout comme je ne pense pas qu’il me crut quand je fis semblant de ne pas remarquer.
Il me vint à l’esprit qu’Andy et Brian allaient peut-être être choqués en découvrant la maison d’Adam. Même s’ils étaient complètement bouchés, ils avaient dû comprendre à présent qu’Adam et Dom étaient en couple. Ce qu’ils ne pouvaient avoir imaginé, c’était la chambre noire démoniaque en haut de l’escalier, au premier étage de la maison. La chambre noire qui accueillait l’impressionnante collection de fouets d’Adam. La chambre noire qui aurait dû jouer un rôle important dans mes cauchemars, si Lugh n’avait pris soin de tenir ces cauchemars à distance.
J’aurais aimé les avertir mais ce n’était pas exactement un sujet que je pouvais aborder au cours d’une discussion anodine. Il me restait à espérer que la porte de cette fichue chambre soit fermée ou bien que nous resterions tous au rez-de-chaussée.
Nous parvînmes à la maison sans incident et Adam gara la voiture sur le petit emplacement privé de l’autre côté de la rue. Adam et moi conduisîmes les autres à l’intérieur, les couvrant tels des soldats en zone de guerre. Tout ce petit cinéma m’aurait fait rire si je n’avais été moi-même aussi tendue.
Une fois à l’intérieur, il nous restait plus d’une demi-heure à attendre avant l’arrivée de Raphael. Nous parlâmes donc stratégie. Adam fit preuve d’une sensibilité inhabituelle et suggéra que Dominic et Brian restent à l’étage pendant le temps de l’entretien. Je pense que si nous avions tenté d’isoler Brian, nous aurions dû en venir aux mains.
Bien sûr, la sensibilité n’avait peut-être rien à voir là-dedans. Adam attendait sans doute de son amant qu’il empêche Brian d’écouter aux portes. Une fois dans ma vie, je décidai de laisser le bénéfice du doute à Adam.
Comme Raphael pouvait arriver en avance, Adam envoya Dominic et Brian à l’étage dès que nous eûmes distribué nos rôles. Je voulais lui parler de la chambre noire, sans savoir encore comment aborder le sujet devant tout le monde. Je priais juste pour que la porte soit fermée.
Mes pensées durent se lire sur mon visage car un seul regard vers moi suffit à Adam pour qu’il éclate de rire. Je devins écarlate.
— Quoi ? demanda Andy en haussant les sourcils.
— Rien, marmonnai-je.
Mais, bien sûr, Adam ne pouvait résister à la tentation de se payer ma tête.
— Morgane s’inquiète de ce que son petit ami va penser quand il découvrira ma collection d’accessoires SM en haut de l’escalier.
— Oh, fit Andy, qui fut alors presque aussi mal à l’aise que moi.
— Il n’y a pas moyen que tu nous épargnes les détails, c’est ça ? demandai-je à Adam.
Il éclata encore de rire.
— Je serai ravi de te fournir davantage de détails si tu le souhaites.
Les coups frappés à la porte me dispensèrent de trouver une bonne réplique. Adam se leva pour faire entrer notre invité et je me postai à côté d’Andy dont le téléphone portable sonna, nous faisant tous deux sursauter. Andy fronça les sourcils.
— Qui cela peut-il être ? s’interrogea-t-il.
Il n’avait parlé à personne en dehors de mon appartement depuis qu’il était sorti de l’hôpital. Il sortit le téléphone de sa poche et le regarda. Après avoir lu le numéro affiché, il haussa les épaules et fourra le combiné dans sa poche.
Je vérifiai mon Taser et le pointai vers Adam qui suivait Raphael dans la pièce.
— Reste derrière moi, Andy, dis-je.
Raphael, les mains en l’air, souriait. Adam pointait un pistolet dans le dos de Raphael. Ce n’était pas l’arme la plus efficace contre un démon mais je supposais qu’une blessure par balle à la jambe pourrait ralentir Raphael si nécessaire.
— C’est vraiment chouette de se sentir le bienvenu, déclara Raphael avant de s’arrêter quand Adam le lui ordonna.
Le téléphone d’Andy sonna de nouveau. Je fus tentée de lui demander de l’éteindre mais j’eus alors une pensée troublante : et si c’étaient nos parents qui l’appelaient depuis l’endroit où ils se terraient ?
— Réponds, juste au cas où ce serait important, lui dis-je sans quitter Raphael des yeux.
— Est-ce que je peux baisser les mains ? demanda Raphael.
— Non, répondîmes Adam et moi d’une même voix.
Derrière moi, j’entendis Andy qui parlait au téléphone. Une voix bourdonna à l’autre bout de la ligne mais elle était trop lointaine pour que je la reconnaisse ou que je comprenne ce qu’elle disait. Andy fit « ouais » et « hum-hum » plusieurs fois avant de raccrocher.
— Qui était-ce ? demandai-je.
— Juste le Cercle de guérison, ils voulaient savoir si tout allait bien. Ils ne doivent pas être au courant que le docteur Neely me rend une visite à domicile.
Je crus déceler une note bizarre dans sa voix mais ce n’était pas le moment d’insister.
— De quoi voulais-tu que nous parlions ? demanda Raphael.
— Je leur ai dit tout ce que je savais, déclara Andy, me fichant une frousse de tous les diables.
Ce n’était pas du tout prévu au programme. Je tournai la tête sur le côté.
— Andy ? Qu’est-ce que tu fais ?
— J’en ai marre d’avoir peur, répondit-il, terrorisé. Je ne veux plus rien cacher.
Raphael haussa les épaules, ce qui lui donna un drôle d’air, avec les mains toujours levées. Il ne semblait pas particulièrement surpris par l’aveu d’Andy. Il avait été tellement sûr de lui quant au fait qu’Andy ne parlerait pas que ce fut plutôt moi qui eus l’air surpris.
— De l’eau a passé sous les ponts, déclara Raphael avec un sourire fade.
— Morgane, dit Andy, la voix tremblante. Tire, ce n’est pas Raphael.